Entretien avec F. et S. Ils sont frère et soeur, ils veulent garder l'anonymat. F. a seize ans, il est en première année de CAP de pâtisserie et espère arriver au BEP, peut-être au bac professionnel. S. a vingt-deux ans, elle prépare une licence de droit pour se spécialiser ensuite comme avocate ou avouée. |
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S. : j'ai été bien conseillée
dans le choix de mes études après le lycée. La première
fois que je suis arrivée en cours de droit civil, j'ai été
subjuguée de voir les profs débarquer en robe et ce sont de
très bons professeurs.
J'ai pris un peu de retards dans mes études au début. Ça
me gène un peu, mais si je commence ma vie vers vingt-sept-vingt-huit
ans ce ne sera pas une catastrophe.
- On commence sa vie lorsqu'on travaille ?
S. : oui, avant on est jeune. On fait des petits jobs. La vie commence vraiment quand on pose les fondations de ce qu'on veut faire. Je veux être juriste et puis me marier, avoir des enfants. Tant que l'emploi n'est pas là, ça n'est pas concevable.
F. : j'ai six ans d'études. Et puis après, je voudrais enseigner.
- Avez-vous des loisirs ?
F. : j'écoute de la musique. J'aime la danse : l'hip-hop. C'est mieux que les danseuses qui font du classique, qui sautent en l'air.
- En hip-hop, les danseurs sautent aussi en l'air.
F. : ouais, mais ils font un truc artistique. Voir un gars qui danse avec des collants, franchement
S. : j'aime la télé, la danse contemporaine
surtout. J'aime tous les arts, à part le cinéma. Pour moi,
l'hip-hop ce n'est pas vraiment de la danse parce qu'ils n'ont pas acquis
les bases classiques. Ceux qui dansent l'hip-hop et qui se prennent au sérieux
me font rigoler. C'est la mode, ça ne durera qu'un temps.
Ce n'est pas avec la danse, le chant et passer sa vie en soirées
qu'on réussit à faire quelque chose. Une vie c'est long.
- Est-ce que vous sortez dans Paris ?
F. : non, je reste dans mon quartier. J'aime bien mon quartier.
S. : je sors dans Paris. J'ai des copines, quand on se retrouve, on sort en boîtes.
- Est-ce que vous fréquentez les structures culturelles ou sportives municipales ?
S. : j'ai fait de la danse et du sport à Pantin jusqu'à quatorze ans. Après c'était la course aux régimes amaigrissants. Plus tard, je reprendrai la danse afro-cubaine. J'ai la chance d'avoir des parents qui m'assument pour tout. Tous n'ont pas cette chance. On est bien chez nos parents. On a l'avantage d'avoir quelqu'un à qui parler quand on rentre le soir.
- Qu'est-ce qui vous révolte ?
S. : la pauvreté.
F. : rien en particulier.
- Est-ce qu'on peut y remédier ?
S. : déjà rétablir la dignité humaine. Sourire, dire bonjour c'est déjà beaucoup. J'ai travaillé chez Mc Donald. Les produits invendus sont jetés à la pelle.
- Est-ce que vous aimez le quartier ? Est-ce que vous aimez Pantin ?
S. : oui. Si je cherche un appartement ce sera à Pantin. J'ai vu les commerces changer et puis il m'est arrivé plein de petites anecdotes. J'ai été en colonie maternelle et j'ai fait toute ma scolarité à Pantin. Mais la ville s'est dégradée et les jeunes regardent trop les filles.
- Vous avez fréquenté les centres de loisirs ; les centres de vacances
F. : les centres de loisirs. Je suis parti en classe verte et deux fois en colonie, parce que mes parents croyaient que je m'ennuyais à Pantin. Mais, je ne suis pas parti en classe de neige, parce que la neige je n'aime pas ça.
- Qu'est-ce que vous aimeriez changer dans le quartier ?
F. : rien. Tout va bien.
- Quand en une nuit, il y a des dizaines de pare-brise cassés, est-ce qu'on peut dire que tout va bien ?
S. : Pantin est une ville en essor avec des sociétés de renommées internationales. Avant, il y avait deux types qui descendaient du métro, maintenant il y a des vagues de gens qui sortent. Trop de jeunes sont dehors à ne rien faire. Ça donne une mauvaise image de la ville et du 93. Il y a une phrase de NTM qui dit : "pour que cela sonne Funky, il faut que ça vienne de la Seine-Saint-Denis. Moi, je suis fière d'être du 93. Ce n'est pas parce qu'on vient du 93 qu'on est forcément nul, délinquant.
(S. part à son cours de code).
- Il y a eu de graves violences dans le quartier : feux, agressions, un jeune blessé
F. : ça s'est passé devant le "Leclerc". On était tranquille. Des garçons des "Quatre Chemins" sont arrivés, ils ont sorti un sabre, mon copain a pris deux coups et ça a commencé comme ça. Ça a duré l'après-midi. La police a débarqué. Ils ont contrôlé tout le monde. Le lendemain aussi. Ça n'est pas fini. Si jamais un garçon des "Quatre Chemins" vient par ici, il sera frappé. Il y en a un qui est venu, il s'est fait cassé le bras. Je vais à l'école aux "Quatre Chemins", s'ils apprennent que je viens d'ici, je pourrais recevoir un coup de couteau. Après, les gens d'ici voudront me venger. Ça durera, et à chaque fois ce sera pire. Que ce soit à Montfermeil ou ici, les jeunes veulent être maîtres chez eux, respectés dans leur quartier. Le pire, c'est rue Scandicci. A chaque fois qu'il y a des bagarres, ils se regroupent devant le "Leclerc". La police contrôle. Si quelqu'un a un canif ou du shiit, il est embarqué au poste. Ils le menottent et ils le baffent.
- Est-ce qu'on peut continuer longtemps ?
F. : ça ne s'arrêtera pas.
- Des locataires ont eu l'idée d'inviter le commissaire pour une réunion d'information avec les parents, les jeunes, les associations, des élus. Le commissaire viendrait sans arme, hors enquête pour débattre avec tous, ce qui permettrait peut-être de tout mettre à plat, de dialoguer dans le calme. Sans que ça porte à conséquence. Tu y participerais ?
F. : Non. Les jeunes ne voudront pas. T'as vu le film " Haine ". Et bien, c'est ça.
Entretien avec Pascal Jayet
Pascal a vingt et un ans, il habite le quartier depuis vingt ans.
- Quelle scolarité as-tu suivie ?
- J'ai étudié dans un lycée à Paris. J'ai réussi mon bac et j'ai poursuivi jusqu'au niveau BTS de commerce international. Je ne foutais rien en classe, je rigolais trop peut-être. Ces études ne me servaient à rien. J'avais besoin d'argent. J'en ai eu marre. J'ai voulu travailler.
- Fréquentes-tu les structures sportives ou culturelles à Pantin ?
- Non, je travaille, comme éboueur à la ville de Paris, depuis fin août, comme stagiaire, et puis il y a ma copine
- Est-ce que par la suite tu envisagerais de partir de Pantin ?
- Non, je pars à l'armée l'année prochaine et puis, j'aime bien Pantin, le petit mélange entre la vraie ville et la campagne. Il y a plus d'espaces verts qu'à Paris, même si ce n'est pas la vraie campagne.
- Qu'est-ce qui te plaît ou déplaît dans le quartier ?
- Souvent, on s'ennuie. Il y a peu de choses faites pour que les jeunes s'amusent. J'allais à la ludothèque quand j'étais jeune. Il y avait le SMJ, mais ça a fermé et je ne sais pas ce que c'est devenu. Lorsqu'on est majeur, on ne peut plus y pratiquer d'activités.
- As-tu des idées pour améliorer la vie des jeunes dans le quartier ?
- Avec les copains, on aimerait bien avoir un local, surtout pour les jeunes de quinze-seize ans. Ça éviterait qu'ils galèrent dehors.
- Les jeunes ont obtenu un local auprès du Logement Français et après quelques travaux ce local a été dégradé, maintenant il est fermé. Qu'est-ce qu'on peut faire ?
- Je ne sais pas, il faudrait leur demander. J'aimerai bien qu'on organise des mini-séjours pour les jeunes qui ont envie de bouger. Ça existe avec le SMJ, mais ça n'est qu'une fois par an. On pourrait aider financièrement ceux qui ont des projets.
- Nous avons vécu des périodes de violence en octobre, par exemple, avec des heurts entre bandes rivales. Il y a eu un mort. Certains adultes, avec l'aide des médias ont peur. Pour un peu que le jeune ait une couleur de peau foncée, la peur est multipliée.
- Je te crois.
- Comment peut-on améliorer cette situation ?
- Je m'en fous, j'ai ma vie. Je ne m'occupe plus de
ce qui se passe. J'ai deux copains, c'est tout.
Le problème c'est que les jeunes ne bougent pas assez pour chercher
du boulot et le problème numéro un c'est l'emploi.
- As-tu été en contact avec des patrons ?
- J'ai fait plein de boulots différents, mais les entreprises nous prennent pour des cons et profitent de nous parce qu'on est jeune et qu'il n'y a pas de boulot. J'ai été agent de sécurité, manutentionnaire. J'ai préparé les plateaux repas à la gare du Nord, à la gare Montparnasse. Les patrons, je les connais
C'est à chacun de se prendre en mains. C'est une question de mentalité. Celui qui veut s'en sortir, s'en sort.
Pour la violence, c'est sur il y a de la racaille mais les gens ici n'ont pas trop à se plaindre, même s'ils nous voient parler pendant des heures. Certains ont une mauvaise image de nous. C'est dommage. Plusieurs fois, nous nous sommes fait contrôler par des flics, simplement parce qu'on faisait du bruit. Combien de fois on a vu des habitants nous photographier. Ils nous prennent peut-être pour des gangsters. Il y en a qui appellent les flics pour rien. On n'est pas méchant. Certaines personnes sont déjà descendues nous voir pour discuter. Je vous donne un conseil : il faut toujours parler aux jeunes gentiment.
- Tu as d'autres suggestions ?
- Ce n'est pas normal qu'Hermès n'embauche pas de pantinois !
- Pourtant après une visite organisée par notre association, une jeune du quartier qualifiée dans la mode a été embauchée.
Emilie a quatorze ans, elle est en 5e1 au collège J. Curie et voudrait devenir prof de sport.
- Comment ça se passe au collège ?
- J'ai des résultats moyens mais les profs n'essaient pas de nous parler. Si un élève travaille mal, ils ne cherchent pas à le comprendre. Je suis déléguée de classe, pas avocate, mais j'essaie de les défendre et de savoir ce qu'ils ont.
- Pourquoi les élèves ont-ils des difficultés ?
- Problèmes de famille pour la plupart. Il y a beaucoup de parents divorcés. Ils n'ont pas envie de travailler. Certains veulent se faire remarquer. Les parents ne s'occupent pas d'eux. Il y a des problèmes d'argent et les enfants comparent leurs jouets. Ça fait des jalousies. Cette année on devrait acheter un livre cher, beaucoup n'ont pas pu l'acheter. Les profs demandent beaucoup d'affaires et nous, on ne peut pas toujours acheter tout de suite parce que les parents ont de petites paies. Si tu n'as pas le livre, tu as un zéro. Ils ne savent pas ce que les parents gagnent. Et puis c'est difficile de demander de l'argent aux amis ou à la famille. Je ne sais pas ce qu'on peut faire. Moi, mes parents ne touchent pas d'allocations familiales parce que je suis toute seule.
- Qu'est-ce qui te choque au collège ?
- La violence. Je ne comprends pas que l'on puisse introduire dans le lycée des bombes lacrymogène et des cigarettes. Pourtant, on n'a pas le droit de fumer. On manque de surveillance et les gens ne se font pas respecter.
- Quelles sont tes sorties ? Est-ce que tu fréquentes le SMJ, le conservatoire, la bibliothèque ?
- Non. J'ai ma copine dans la cité. On discute dehors. On se fait engueuler par les gens. Des fois, on va derrière le fast-food et l'été on joue au volley ou on s'ennuie beaucoup. Avant j'allais à la ludothèque.
- Qu'est-ce qui te déplaît le plus ?
- Le racisme. Il y a eu un incendie dans un appartement au n° 21. Des gens demandaient si les locataires étaient normaux, blancs, français et les locataires étaient blancs, français, mais s'ils avaient été noirs ou arabes, ils les auraient laissé crever. Ça m'a dégoûté.
- Qu'est-ce qu'on peut faire ?
- Rien. C'est dans la tête des gens. Quand on est raciste c'est jusqu'à la fin de ses jours. Sauf si un raciste aime ses enfants et que ceux-ci veulent se marier avec une personne d'une autre origine.
- Qu'est-ce qui te ferait très plaisir ?
- Une salle pour les jeunes, surtout l'hiver pour qu'on discute, qu'on s'amuse mais sans drogue, sans racaille, avec des jeux. Il faudrait des sorties, ça existe mais pas assez. Il y a les colonies mais ça fonctionne pendant les vacances scolaires.
- Une association de jeunes s'est montée. Ils ont obtenu un local qui a été dégradé rapidement.
- C'est à cause des règlements de compte entre les jeunes d'ici et des " Quatre Chemins ".
- Qu'est-ce que tu dirais aux adultes ?
- Qu'ils écoutent les adolescents. Pour eux, on traîne, on casse les voitures, on est mal poli, on crie. Si on est mal habillé, on se fait contrôler par la police.
- Des jeunes rejettent les adultes aussi.
- Ils ont peur de se faire manipuler. Avant on n'aimait
pas notre gardien, maintenant ça va mieux. Il discute avec nous.
A la maison, on parle avec nos parents. Des fois on s'engueule, mais le
lendemain c'est fini. C'est important de parler avec ses parents, sinon
c'est qu'on n'a pas confiance. J'ai été menacé par
un garçon de ma classe, il voulait me racketter. J'en ai parlé
à mon père. Il s'est rendu au collège. Il a rencontré
les professeurs. Ça s'est arrangé.
Si on ne peut pas parler avec ses parents, il faut essayer avec ses frères,
ses surs ou les animateurs du centre de loisirs.
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