L'art est à la culture ce que l'inter-dit est aux dits.


- à partir du texte de l’Unesco sur la culture, comment définiriez-vous les pratiques culturelles et artistiques des enfants et des jeunes ?

Si la vie est un espace de temps qui s'écoule depuis la naissance jusqu'à la mort, la culture est ce corpus qui va lui donner forme et corps social. Cet espace de temps ainsi structuré est une forme singulière et partagée. La naissance est la naissance au langage et la vie qui s'écoule est alors un récit dont on est à la fois l'auteur, l'acteur et le lecteur. Naître, loin d'être aussi naturel qu'il paraît, est un fait profondémment culturel. On pourrait même dire qu'être né, pour l'animal parlant que nous sommes, est contre nature. Contre cette nature qui fait la loi du plus fort et qui s'imposerait comme indiscutable. Dés notre naissance nous discutons cela. Nous parlons, nous pensons, nous inventons la nature et la reformulons pour avoir rapport avec les forces qui nous dominent. S'en dégager est pour nous un acte de liberté fondamentale. C'est cette liberté que permet et protège la culture.
Pour les enfants et les jeunes, les pratiques culturelles sont celles qui vont favoriser la communication. Les pratiques artistiques s'en distinguent dans la mesure où elles portent un regard critique sur cette croyance. Elles leur offrent l'incroyable, l'impensable, l'invention au risque de l'impossible. Du réel dans la réalité.

- et quel est, selon vous, l’intérêt des pratiques artistiques et culturelles pour les enfants et les jeunes ?

L'art est à la culture ce que l'inter-dit est aux dits. Aussi les enfants et les jeunes ont-ils cette approche duelle: celle de la communication (fait culturel des dits) et celle de la création (fait artistique des inter-dits). La distinction est indispensable pour comprendre le rapport conflictuel qui existe entre l'art et la culture et en apprécier le nécessaire jeu martial. Cela permet de mieux saisir que l'exploration des limites propre à l'art met en branle, au risque de l'écroulement, l'édifice culturel. Aussi, il me semble que les pratiques artistiques qui doivent s'inscrirent dans le cadre borné de la culture ne peuvent faire l'objet d'une politique culturelle. Qu'il faut accepter et apprécier la faille que l'artiste en herbe va créer dans le champ culturel. Car si le grain ne meurt, c'est toute une récolte qui devient stérile. Le jeune artiste est un cultivateur qui nie la culture productiviste et positive. Loin d'être nihiliste, il est le révélateur critique et constructif de ce qui fait la culture vivante.

"L'art est à la culture ce que l'inter-dit est aux dits". Texte paru dans "Loisirs Education" n°395, sept-oct 2002, la revue de "Jeunesse au plein air" à la suite du colloque "De l'art ou du multimédia" organisé par l'Institut de la Jeunesse et de l'Education Populaire" le 7 juin 2002 à Marly le Roi.
Copyright © septembre 2002, Antoine Moreau
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