[Copyleft attitude] : lart à lépreuve de léconomie du numérique. [Copyleft attitude] a eu lieu les 21, 22 et 23 Janvier 2000 et les 24, 25 et 26 Mars 2000 à Paris, respectivement dans 2 lieux gérés par des collectifs dartistes : Accès Local et Public>. Sans doute la première rencontre entre le monde de linformatique libre et celui de lart contemporain (numérique et non-numérique). Un croisement instructif de deux univers qui jusquà présent navaient pas encore saisi leurs points communs. Le compte-rendu de ces journées est ici. Tout dabord une intuition : Ny a-t-il pas rapport entre lactivité créatrice des hackers et celle des artistes? Et quelles sont les règles de lart des uns et des autres? Sil y a rapport, en quoi lexpérience des uns peut servir la pratique des autres et vice-versa? Lorsque Eric S. Raymond répond à la question : Comment devenir un hacker? <http://www.tuxedo.org/~esr/faqs/hacker-howto.html> jai tout de suite pensé que ce texte pouvait sappliquer également au domaine de lart. Cest pourquoi je lui ai demandé lautorisation de le réécrire (avec laide de la traduction française de Stefane Fermigier) en le modifiant pour poser la question : Comment devenir un artiste? <http://antomoro.free.fr/artiste.html> Bien sûr, il ne sagit pas là dun texte à prendre au pied de la lettre, il y a même une certaine dérision dans cette transposition, mais, comment de pas sapercevoir que ces deux activités, celle du hacker et de lartiste, répondent à leur manière à la même exigence esthétique, économique et relationnelle? Il sagit en fait de deux disciplines très proches. Elles observent toutes les deux leur objet avec curiosité et portent toute leur attention à sa mécanique interne où elles interviennent pour créer dautres rouages, sans se satisfaire de la simple représentation. Cest là une question déconomie. Quon ait pu réduire, dans le sens commun, léconomie à la seule marchandise est pour les hackers comme pour les artistes, une aberration. Car, il y a une économie propre à lart. Economie à prendre au sens large. Une économie qui nest pas celle de la loi du marché. Celle là, nous la subissons tous les jours par la force des choses. Cette force qui selon certains, serait celle dune nature auto-régulante, dune mécanique idéale et qui ferait le tri parmi ce qui est bon et ce qui ne lest pas. Une nature qui ferait la loi. On connait trop bien cette histoire : cest celle du plus fort qui gagne, du plus gros qui lemporte, du plus voyant qui triomphe. Une mythologie. Un mauvais rêve. Les artistes savent par expérience, que cette histoire est une révision en temps réel de lhistoire en train de se faire. Ils ny portent pas crédit. Car le fin du fin, le fin mot de lhistoire, ce sont les mots qui lengendrent et sur lesquels elle rebondit sans cesse : liberté, égalité, fraternité. Tout simplement. Ce nest pas une légende, ce nest pas un mythe, cest dans léconomie propre à lhistoire elle même. Son moteur, son carburant et son transport. Le problème, cest que léconomie marchande nentend rien aux règles de lart. Elle impose sa loi naturelle à toute activité et fait de lobjet de lart un objet dart. Une marchandise jalousement prise et gardée pour la seule gloire de son propriétaire. Une réduction de lart à son inscription dans un matériaux contrôlable, facilement saisissable et finalement bon à mettre dans le coffre dune banque. Pour tout dire, ce rapport à lart nous dégoûte franchement. Léconomie à laquelle nous sommes sensibles en adoptant une attitude copyleft, cest celle qui a à voir avec la connaissance infinie, léchange sans frontières, et lattention sensible. La moindre des choses, non? Oui, Liberté, égalité, fraternité (qui rigole?... ;-) oui, ça ferait presque rire, sous cape ou à gorge déployée, tellement les mots qui commandent nos actions aujourdhui sont éloignés de cette trilogie révolutionnaire dont nous sommes tout de même les héritiers). Lorsquil commence ses conférences par ces trois mots, Richard Stallman annonce la couleur et il a, quitte à paraître grandiloquent et ridicule, bien raison. Sa préoccupation nest pas artistique, mais les artistes présents lors de copyleft attitude ont bien vu tout lart contenu dans la philosophie du logiciel libre. On peut très bien ne pas être un artiste et paradoxalement, en être un, encore plus justement, que les artistes reconnus comme tels. Ainsi Linus Torvalds, récompensé par Ars Electronica en 1999, dans la catégorie Net, pour le système dexploitation Linux. Bien avant lui, Marcel Duchamp désignait le non-art comme nettement plus pertinent que lart des artistes patentés. Nous reconnaissons la création des logiciels libres, comme des oeuvres fabriquées dans les règles de lart et ayant à voir avec nos préoccupations artistiques. 1/ Nous voulons être libres de créer sans avoir, en priorité, de comptes à rendre à léconomie marchande. Cette création doit aussi compter pour ce quelle est : une recherche fondamentale et exigeante. Elle est une connaissance qui doit pouvoir profiter à tout un chacun. Lachever sous la forme dun objet captif et spéculatif, cest tirer un trait sur un travail en développement. Cest donner tout pouvoir au fétiche de lart (littéralement fait main) sans envisager que lobjet de lart nest pas en totalité dans lobjet dart. Il ny est que pour des raisons pratiques. Je cite Kathy Alliou, doctorante en propriété littéraire et artistique (sujet de thèse : les problèmes juridiques soulevés par les nouvelles formes d'expression artistiques) : La distinction entre le support et l'oeuvre, est depuis longtemps légalement constatée (loi du 9 avril 1910). L'oeuvre est donc immatérielle (même si elle doit s'incarner, pour des commodités de preuve et de délimitation des droits) et donne lieu à un droit de propriété incorporelle. ART L.111-3 CPI: "La propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l'objet matériel. 2/ Il nous semble important aujourdhui de prendre en compte ceux qui parmi les acteurs des nouvelles technologies sont les plus respectueux des règles de lart, cest à dire les inventeurs de linternet et les informaticiens du libre. Ceci pour correspondre au mieux avec la nouvelle économie qui se profile à lhorizon. Cette nouvelle économie nest pas marchande avant toute autre chose, contrairement à ce quil paraît. Elle est aussi esthétique, éthique et politique. Nous prenons délibéremment modèle sur le fonctionnement de linternet originel et sur celui des logiciels libres pour nous en inspirer et lappliquer librement à dautres types de créations non logicielles. Dans le domaine de lart. Dans le quotidien de la vie. 3/ Pour nous, créer avec le numérique, ce nest pas produire de limagerie cyber, des formes de haute volée technologique, des démonstrations rouleuses de mécaniques. Non. Créer avec le numérique, cest être en intelligence avec le matériaux, attentif à son écologie propre pour en capter lesprit et produire quelque chose qui interroge lart dans ce contexte là. A partir de cette observation, nous entrons en intelligence avec le contexte, le matériaux et les utilisateurs. Nous changeons tout simplement de paradigme, non pas de façon radicale et bruyante, mais en nous abandonnant, confiants, à lopération qui est en train de se faire en ce moment sous nos yeux. Nous nous fondons dans la matrice pour produire dautres matrices à linfini. Contrairement à ce qui se cache derrière les imageries techno et cyber, nous ne nous intéressons pas à la mise en avant de postures conquérantes, de statures hiératiques en leurs prétentions de visibilité : nous sommes persuadés que limage en réseau, limage numérique na rien à voir avec ces imageries, plus proches des habitudes obsolètes que du changement qui se fait. Ce qui nous intéresse, ce sont les conditions de productions de lart et intervenir dans ces conditions par différents moyens, lart dune part, mais aussi le juridique, le politique, le social et léconomique. Avec laide de Mélanie Clément-Fontaine, Doctorante en droit de la propriété intellectuelle et auteur dune étude juridique sur la GPL <http://crao.net/gpl>, nous avons , au terme de ces journées copyleft attitude, posé les bases pour la rédaction dune licence copyleft pour lart. Elle sera prochainement disponible sur http://artlibre.org et pourra être utilisée par tous les artistes, selon leurs besoins. |
"Lart à lépreuve de léconomie du numérique.", un texte écrit pour la revue électronique Archée |