Hurle


Ce portail de pierre m'a fasciné depuis le jour même où je l'ai découvert, caché sous une luxuriante frondaison, au beau milieu de la forêt du Grand Domaine. Je ne sais personne d'autre que moi qui l'ait aperçu. Et si tel a été le cas, alors sans aucun doute, à cette vue, le curieux aura été pris d'effroi. Car il a tout d'une gueule béante, pressée d'engloutir l'imprudent qui passerait à sa portée. Et les bas-reliefs qui l'ornent ont quelque chose d'indéfinissablement inquiétant, qui m'a littéralement fasciné.

Aussi, par une matinée d'été, me décidais-je, pour sortir de mon estivale oisiveté, à entreprendre une exploration de ce que pouvait dissimuler cette porte. Je doutais en fait que tout ceci me mène bien loin. J'avais tort. Fort heureusement, j'avais emporté plus qu'il n'était strictement nécessaire, pour me sustenter et m'éclairer.

J'errai longtemps dans le dédale de souterrains dont j'avais pu avoir un bref aperçu lors d'une inspection préliminaire. Peu à peu, comme je m'éloignais de la lumière du jour, mon enthousiasme initial s'étiolait. Pour autant, mon exploration ne m'était pas pénible, et se révelait plus aisée que ce que je craignais. Hormis quelques spécimen de l'inquiétante faune souterraine, rien ne semblait briser la monotonie de ces couloirs humides et sombres.

Après nombre éboulis, détours et cul-de-sac, aléas de cette équipée, j'arrivai à une solide grille, barrant le couloir dans lequel je progessais. Je m'en approchais, tentant de percer les ténèbres qui s'étendaient au delà, quand je décelai un mouvement brusque. Aussitôt, je me reculai, et m'adossai au mur, le souffle court, les sens en alerte. Une curieuse créature émerga de la noirceur.

Elle était étrange. Par son attitude, tout d'abord, sa façon de me dévisager longuement. Par son apparence, aussi. Je n'avait jamais rien vu de tel. Elle avait quasiment forme humaine, mais sa peau, ocre et moirée chatoyait à la lumière de ma lampe comme de la soie. Elle n'avait pas de nez, et deux petits orifices s'ouvraient là où il aurait dû se trouver. De même, elle n'avait pas d'oreilles, ni de cheveux. Ses mains étaient pourvues de griffes qui semblaient redoutables, et lorsqu'elle m'adressa une sorte de sourire, je découvris des dents aiguisées.

Elle ne quitta pas son sourire, et commença même à émettre une sorte de ricanement. Je remarquais seulement alors les changements qui étaient en train de s'opérer dans son apparence. Ils s'accéléraient. Un nez commença à se former, des oreilles également, et très vite, des cheveux courts lui poussèrent. Sa peau devint finalement plus mat, et à mon horreur, je découvris un visage qui m'etait familier. Car elle avait maintenant parfaitement forme humaine, et je la regardais abasourdi, comme paralysé. Elle avait mon visage.

Soudain, la grille, que le temps avait fragilisée, céda. Et on entendit un hurlement de terreur. La torche tomba à terre, rendant le dédale à l'obscurité à laquelle il appartenait depuis si longtemps. Mais pas à sa tranquillité, car c'est un combat acharné qui s'en suivit.

Je me souviens ensuite avoir erré longtemps dans ce labyrinthe, le coeur battant à rompre, avant finalement de trouver la sortie et la lumière du jour. En cet instant, elle me blessa presque, tant je n'y était pas habitué. Je poussais un long hurlement de joie. J'avais enfin réussi à m'extirper de ce monde souterrain qui m'avait vu naître...


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